Du fait de leur utilisation des réseaux sociaux, les athlètes sont devenus des marques à part entière, avec un pouvoir d’attractivité et une capacité à faire passer des émotions bien supérieures à celles des multinationales qui les sponsorisent.
Après une compétition, les athlètes avaient pour habitude de s’exprimer, le plus souvent maladroitement, aux micros des médias traditionnels pour commenter leur performance et partager leur ressenti. Avec la professionnalisation, des coachs en communication les ont aidés à muscler leur discours.
Depuis l’explosion des réseaux sociaux, les athlètes sont devenus des médias choisissant leurs canaux pour évoquer de multiples sujets, allant du placement produit à la confidence intime. Quant aux marques, elles gravitent autour de cet écosystème surmédiatisé.
Les réseaux sociaux en nouveau terrain de jeu
Jusqu’à présent, les athlètes pratiquaient leur activité sur une multitude de terrains différents : court de tennis, terrain de football ou de rugby, champ de courses, circuit, piscine, tatami… Au sein de ces terrains, il y a également des singularités : au tennis, la surface, en Formule 1, la configuration du circuit… Bref, chaque sport avait son propre terrain, différent de tous les autres.
Aujourd’hui, les athlètes s’expriment également sur une espèce de méta-terrain : les réseaux sociaux. Contrairement aux autres sports qui ont chacun leurs spécificités, leurs règles, leurs codes, ce terrain regroupe tous les sportifs, tous les sports, et ne fait pas de distinction entre les femmes et les hommes, les catégories de poids…
Il est régi par une règle unique : la course à la popularité. La compétition a donc opéré une forme de bascule en direction d’un nouveau terrain de jeu : le digital. Un athlète ne peut plus se contenter d’exceller dans sa discipline, il doit également l’être sur le terrain plus immatériel des réseaux sociaux. Désormais, c’est sur ce terrain-là que tous ont aussi intérêt à être performants.
Une nouvelle compétition : la course aux followers
Stéphane Guerry, président de Havas Sport, confirme d’ailleurs ce glissement de terrain : «aujourd’hui, [les réseaux sociaux] sont le principal outil de communication du sportif ». Cristiano Ronaldo et Lionel Messi (respectivement 180 millions et 128 millions d’abonnés) partagent leur quotidien avec leurs followers sur leur compte Instagram.
Outre les quelques selfies et photos de famille, leurs pages proposent aussi du contenu sponsorisé. Ronaldo aurait ainsi perçu plus de 44 millions de dollars l’an passé grâce à ses partenariats, soit plus que son salaire en tant que joueur. Le compte de Messi affiche quant à lui une cinquantaine de publications sponsorisées par Adidas. Elles ont généré plus de 150 millions d’interactions, mais surtout plusieurs millions de dollars pour la marque.
Grâce à la data, les réseaux sociaux permettent de valoriser une communication médiatique, et d’évaluer son impact sur un temps extrêmement court. La télévision et les journaux, autrefois considérés comme des médias rapides, sont désormais devenus lents et n’auraient jamais permis une telle valorisation. L’hyper-connectivité, la proximité et l’agilité proposées par les réseaux sociaux redéfinissent le rôle du sportif dans notre société surmédiatisée.
Sportif, influenceur ou marque à part entière ?
Des millions de supporters vibrent au rythme de l’actualité sportive de leurs idoles. Désormais, tout dans leur vie de tous les jours est également matière à renforcer ce lien. Ainsi, certains athlètes ne sont plus des supports de communication pour les marques, mais bien l’inverse.
Ils sont devenus des marques à part entière, avec un pouvoir d’attractivité et une capacité à faire passer des émotions bien supérieures à celles des multinationales qui les sponsorisent. Grâce aux réseaux sociaux, la popularité et l’engouement que peut susciter un athlète est non seulement quantifiable, mais aussi comparable à celle d’une marque.
Qu’importe leur âge, leur sexe, leur discipline ou leur palmarès, la valeur des sportifs peut être analysée, comparée, classée à l’image de bilans financiers. Un tel classement a d’ailleurs été récemment publié par les agences Zoomph et Greenfly. En termes d’influence, celui-ci place Simone Biles, jeune gymnaste américaine qui n’a pas hésité à révéler des blessures intimes, devant des sportifs bien plus réputés.
Humain, trop humain
Formidables amplificateurs, les réseaux sociaux permettent aux athlètes de s’épancher et aux fans de découvrir leurs champions sous un jour nouveau : personnalité, hobbies, vacillements, failles… Cela tombe bien : transparence et authenticité suscitent aujourd’hui de très hauts taux d’engagement et dopent ainsi leur rentabilité médiatique. Morale de l’histoire : l’humanisation des athlètes, conjuguée à la fin du mythe du surhomme, contribue en fait à accroître leur popularité. Netflix accumule d’ailleurs sur sa plateforme les docu-séries autour des faces cachées du monde du sport.
En 2021, le sportif n’est plus un champion perché sur son Olympe, mais un influenceur, un vecteur de valeurs humaines souvent exploitées à des fins commerciales. Les récentes péripéties de Naomi Osaka illustrent parfaitement cette tendance. La tenniswoman avait refusé de s’adresser aux journalistes lors des traditionnelles conférences de presse. Ses sponsors l’ont alors menacée de rompre leur contrat… jusqu’à ce qu’elle justifie publiquement ce refus en invoquant une trop forte pression sur sa santé mentale. Ce motif psychologique n’a pas tardé à être exploité par ces mêmes marques, associant leurs valeurs au combat mené par Osaka contre l’anxiété.
La frontière qui différenciait les sportifs et les marques, celle qui faisait des premiers de simples supports pour la gloire des secondes, devient floue, perméable et indistincte. En effet, la stratégie des marques les conduit bien souvent à se doter des attributs affectifs de la personne : émotion, transparence, sincérité, engagement… Dans une sorte d’échange croisé, les sportifs, intrinsèquement porteurs de ces valeurs, se sont attribués la puissance commerciale des marques, devenant à leur tour des marques à part entière. Une autre façon pour un sportif de gagner.
Article initialement paru sur Stratégies.