Dans le domaine de la conception urbaine, les contraintes ne cessent d’évoluer à mesure que les attentes de la société progressent. Conséquence : les données à disposition des professionnels explosent. Commerces de proximité, nuisances sonores, exposition au soleil, respect de normes écologiques… autant de facteurs mesurables ayant des effets considérablaes sur le travail des urbanistes et des architectes. En effet, leur qualité est souvent mesurée sur leur capacité à trouver un juste équilibre entre besoins humains et impératifs économiques.
Dans ce contexte, les phases essentielles de faisabilité de projet se caractérisent bien souvent par une approche trop empirique et peu rémunératrice. Face à ce déséquilibre, l’Intelligence Artificielle (IA) apparaît comme le chaînon manquant permettant à l’intelligence humaine de repousser les frontières en augmentant les capacités d’analyse.
Bien que les avantages de cette technologie soient communément acceptés, celle-ci se heurte à des craintes légitimes chez les professionnels de la conception urbaine. Ces derniers craignent de se voir remplacés par des algorithmes opaques et sans âme. Ils échouent bien souvent à concevoir la notion d’humain augmenté. Cette situation illustre le besoin de démocratisation de l‘IA, mais aussi celui de redéfinir le mot intelligence dans certains contextes. Dans nos sociétés, l’expertise correspond généralement au niveau de connaissance qu’une personne possède dans un domaine. Avec l’avènement de l’humain augmenté, nous assisterons à un changement de paradigme où l’étroite coopération entre des formes différentes d’intelligence, celle des humains et celle des machines, tendra à se multiplier. Cette coopération est d’ores et déjà effective avec l’IA.
Plus de centralisation pour plus d’optimisation
Aujourd’hui, la phase de faisabilité nécessite une interprétation du plan local d’urbanisme, puis un report dans un logiciel qui aboutit le plus souvent à des résultats peu pertinents au regard de la maîtrise d’ouvrage. Il est également nécessaire de tenir compte d’un grand nombre de différentes données : hauteurs et gabarits des bâtiments, pourcentage d’espaces verts, étude programmatique et capacité, rentabilité du projet demandée par la maîtrise d’ouvrage, et enfin, rapport entre prix d’achat du terrain et ce qu’on peut y implanter.
Cette prolifération de données, aux multiples niveaux, requiert l’adoption d’outils centralisateurs qui permettront aux urbanistes et architectes d’y accéder rapidement puis de les analyser efficacement. Dès lors, ces plateformes peuvent simplifier la compréhension d’un projet en permettant de l’envisager à la fois sous différents angles mais aussi selon plusieurs critères.
Une fois les informations centralisées, il faut naturellement les exploiter. C’est là qu’intervient l’IA pour rendre possible cette exploitation par une mise en ordre et par l’établissement de multiples corrélations. Prenons un cas simple : lorsque la maîtrise d’ouvrage requiert de densifier un site, l’IA peut calculer automatiquement et rapidement le nombre maximum de logements possible en prenant en considération la surface de parking ou encore la part d’espaces verts imposée. Ce résultat automatisé alimente ensuite la réflexion stratégique de l’expert métier. Les deux intelligences s’enrichissent ainsi mutuellement dans un fonctionnement hybride qui établit de nouvelles frontières de fonctionnement.
Autres exemples : les études d’ensoleillement, la détection des îlots de chaleur, et le calcul des nuisances sonores. Dans une phase de faisabilité, l’IA peut calculer automatiquement ces éléments selon différents critères : luminosité, affluence dans les rues adjacentes, limitation de vitesse dans les rues, etc.
Un expert métier augmenté, pas remplacé
Rappelons que l’intelligence de l’IA dépend des données mises à sa disposition. Sans données, une IA est incapable d’apprendre. L’expert métier conserve donc son rôle central dans la conception urbaine car, pour l’instant en tout cas, seule une intelligence humaine peut comprendre des besoins non rationnels exprimés par d’autres humains en matière de conception urbaine.
Plutôt que d’être une menace qui tendrait à remplacer l’expert métier, l’IA propose des scénarios et fait entendre des dimensions difficiles à appréhender par des moyens plus classiques. L’apport d’informations nouvelles permet ainsi d’élargir les perspectives de l’expert métier, et n’impose pas une vision précise qui reposerait exclusivement sur la donnée. Il faut considérer l’IA comme une interface à multiples entrées qui rapproche des univers qui n’avaient pas forcément vocation à se croiser. En l’utilisant, l’expert métier déplace des frontières entre des disciplines autrefois étanches, et les fait collaborer.
Lorsque l’IA calcule des courbes d’ensoleillement par exemple, l’humain se place dans une logique d’observation qui lui permet d’évaluer la pertinence de ce que lui propose l’algorithme. Il s’agit là d’adopter progressivement une nouvelle manière de travailler qui combine les forces de chacun et permet ainsi de repousser les limites au moment de la phase de faisabilité.
Cette aptitude de l’IA de non seulement traduire des exigences mais aussi de manipuler et trouver des cheminements logiques dans de vastes ensembles de données permet d’augmenter les capacités de l’expert métier. Il lui devient plus simple de lier rapidement des données environnementales et économiques, de disposer de métriques à l’avance, de donner une réponse précise à un promoteur sur la rentabilité d’un projet, etc.
La complémentarité de l’IA et de l’expert métier permet ainsi d’aboutir à des scénarios plus cohérents, représentatifs, et sur lesquels l’humain, seul décideur final, peut s’appuyer. Dans un premier temps, pour évaluer la capacité de développement d’un projet et, plus tard, lors de la phase d’étude. L’impact de l’IA sur la chaîne de valeur est donc multiple.
Optimiser est le maître mot de l’IA qui porte en lui un certain paradoxe. En effet, c’est au travers d’un outil mathématique, artificiel par définition, dont la finalité est donc la rationalisation, que peuvent intervenir des considérations très humaines (niveau sonore, ensoleillement, espace vert, etc.) impactant la vie sensible. Cette technologie, qui s’appuie sur des données factuelles, permet ainsi aux humains de considérer des éléments de rentabilité allant au-delà de la seule dimension financière. Elle favorise de cette manière l’augmentation de la qualité de vie.
Article initialement paru dans Forbes