Lorsqu’on évoque le monde des affaires, on parle souvent de la « conduite » des affaires. Pourtant, le terme « conduite », manquant de vivacité, ne semble plus adéquat pour désigner la réalité. Dans un milieu devenu de plus en plus concurrentiel, où les changements parfois très brutaux laissent très peu de temps pour réagir, on devrait plutôt parler de « pilotage » des affaires, tant la réussite tient autant à la rapidité des réflexes qu’à la pertinence de la trajectoire ou à la préparation du bon outil pour gagner. Ainsi, le pilotage des affaires s’apparente à bien des égards aux formes les plus extrêmes de compétition, la Formule 1, par exemple.
Dans ce sport particulièrement compétitif chaque geste compte. Et c’est le bon équilibre entre le talent (les performances du pilote) et la science (tout le reste…) qui doit être exécuté de manière parfaite pour gagner. Tout comme une course de Formule 1, le pilotage des affaires exige sang-froid, lucidité, et capacité instantanée de prendre la bonne décision dans un univers affecté par de fortes turbulences.
UNE COURSE EXEMPLAIRE À PLUS D’UN TITRE
Une course a particulièrement cristallisé tous ces aspects lors de la saison passée : le Grand Prix de Russie, disputé sur le nouveau circuit de Sotchi.
Le 26 septembre 2021, la quinzième épreuve du championnat du monde de Formule 1 est sur le point de commencer. L’équipe Mercedes-AMG Petronas, leader, a dû faire face à deux défis majeurs. Tout d’abord, leur pilote principal et champion du monde en titre, Lewis Hamilton, n’a pas été en mesure de décrocher la pole position. Il prend donc le départ à la 4ème place. Ensuite, leur deuxième pilote, Valtteri Bottas, a connu des problèmes techniques qui l’ont contraint à prendre le départ en 16ème position (sur 20 voitures). Le jeune pilote Lando Norris, de l’écurie McLaren, décroche quant à lui une superbe et inattendue pole position.
Norris se place en tête dès le début de la course, tandis qu’Hamilton est relégué à la 7ème place. Arrivés au 38ème tour (sur 53 tours), Norris et Hamilton se disputent la première place. A huit tours de l’arrivée, une seule seconde les sépare. A des degrés différents, les deux sont soumis à une énorme pression : Norris est en mesure de décrocher sa première victoire, Hamilton peut atteindre le record historique de 100 victoires.
Soudain, il se met à pleuvoir. Les deux équipes doivent réagir rapidement, évaluer la situation, les conditions, et la stratégie à adopter. En théorie, les pilotes doivent s’arrêter au stand pour changer leurs pneus contre des pneus intermédiaires. La question centrale n’est pas seulement de changer les pneus, mais surtout de déterminer à quel moment le faire.
C’est dans ce genre de moment que l’interaction entre une équipe au stand et les pilotes prend tout son sens. En définitive, ce sont les pilotes qui décident quand rentrer au stand et c’est là que le talent et la science fonctionnent (ou pas) ensemble.
Alors que la piste est de plus en plus mouillée, Hamilton ne suit pourtant pas les consignes de son équipe et refuse de rentrer au stand. Croyant que la pluie va bientôt cesser, il pense pouvoir finir la course sans rien changer. Comme au sein d’une entreprise, une négociation s’engage entre les membres d’une équipe.
La pluie persistant, l’équipe parvient finalement à convaincre Hamilton de rentrer au stand. Cette décision s’avèrera déterminante car ces pneus plus adaptés lui permettront de dépasser Norris. Ce dernier, quant à lui se fie à son instinct et, parce qu’il estime pouvoir conserver sa place en tête, refuse de rentrer au stand. Grave erreur : sa monoplace manquant cruellement d’adhérence, il finira loin derrière dans une course qu’il avait presque menée de bout en bout. Grâce à ces choix audacieux et à son sens du timing, Hamilton franchit en tête la ligne d’arrivée.
D’une situation chaotique, presque impossible à dénouer et à maîtriser, Hamilton et son équipe ont fait un véritable succès. Le leader de l’équipe Mercedes-AMG Petronas devient en prime le premier pilote de Formule 1 à remporter cent victoires.
QUELLES LEÇONS (DE CONDUITE) EN TIRER ?
Le monde des affaires et de la haute compétition automobile se ressemblent à bien des égards : si le PDG/pilote est celui qui dirige l’équipe et doit prendre des décisions pour aider son organisation/équipe à remporter des victoires, il doit également être un communicant talentueux, un communicant capable de partager avec son équipe son analyse sur l’état de l’entreprise. Il doit faire en sorte que ses équipes lui fournissent les bonnes données/métriques afin qu’il puisse prendre les bonnes décisions (tout en ayant le droit d’ignorer/de prioriser certaines données qu’il estime non essentielles). Il sait que ce qui est à prendre en compte n’est pas seulement la nature des données mais « quand » elles sont fournies (le contexte). Ainsi, un processus décisionnel peut générer des décisions différentes (parfois contradictoires) simplement parce que le contexte a changé.
D’un point de vue plus général, une organisation, tout comme une écurie de F1, est un groupe de collaborateurs convergeant vers un but commun où chacun joue un rôle déterminant dans la réussite collective. Il appartient également au PDG/pilote de reconnaître la contribution de chacun dans l’atteinte de l’objectif. C’est ce que fait Hamilton quand il remercie l’ensemble de l’équipe à la fin de la course. Gardons également à l’esprit que l’utilisation d’un équipement éprouvé (des pneus intermédiaires) et le perfectionnement d’un processus font la différence dans les deux mondes et sont les piliers d’une stratégie gagnante. C’est sur la base de frontières repoussées toujours plus loin que se construit la victoire.
Dans le monde des affaires, tout comme dans les courses professionnelles, faire la course en tête et être en passe de gagner, n’exonère pas de se remettre en question, d’évaluer en permanence la situation, d’être ouvert à des changements rapides, et de s’adapter à l’environnement. C’est ainsi que l’on s’assure que les autres pilotes/compétiteurs ne profiteront pas de ces changements pour ravir la victoire au dernier moment.
Tribune initialement parue dans Marketing-Professionnel.fr