“ Pourquoi tombons-nous Bruce ? Pour mieux apprendre à nous relever “. En prononçant ces mots, le très british Alfred Pennyworth crée, sans le vouloir, le mantra de Batman. C’est du moins la légende que raconte Christopher Nolan, dans son film Batman Begins. L’erreur, la chute, n’est pas une fin en soi. Avec le bon état d’esprit, c’est même l’opportunité de se relever plus fort.
“ Au prochain rond-point, prenez la deuxième sortie à gauche ”, vous indique votre GPS quand, perdu dans le dédale de la Défense, vous risquez de finir à Marseille. La machine, comme le GPS, calcule pour nous le meilleur trajet, mais elle ne conduit pas la voiture. Elle nous aide, mais la prise de décision finale, le choix de la route, appartient à l’humain… En tous cas, pour le moment.
Il se peut aussi que le GPS nous empêche de chercher le chemin par nous-mêmes en nous offrant une solution toute faite. À quoi bon faire l’effort de chercher ce qu’une machine peut immédiatement trouver pour nous ? Après tout, les machines ont bien été inventées pour soulager les humains d’efforts inutiles. Et elles savent très bien le faire.
Seulement voilà, la plus sophistiquée des machines actuelles, autrement dit l’Intelligence Artificielle (IA), n’est qu’un guide, elle ne doit pas s’imposer. Pourtant, certaines entreprises data-driven, entièrement tournées vers l’analyse de données, s’en remettent parfois exclusivement à l’IA pour mener leur stratégie, comme si celle-ci était infaillible, et ses choix forcément pertinents. Mais il vaut sans doute mieux une erreur humaine qu’une IA omnisciente – sauf si l’erreur humaine est d’avoir créé une IA omnisciente !
Humain, trop humain
L’utilisation de l’IA dans la prise de décision, et le constat de ses capacités toujours plus grandes, forcent à l’humilité. Car si elle ne remplace pas l’humain, l’IA offre en réalité de nouvelles perspectives intéressantes car elle teste toutes les possibilités, dans différentes situations. Elle modélise, simule, affine, prédit le meilleur chemin et ses alternatives. Sa proposition est froide, dénuée de cette émotion humaine trop humaine qui peut parfois obscurcir la vision et rendre tout plus confus.
Mais au bout du compte, ce qui manque à la machine, c’est précisément des qualités humaines. Trois en particulier : le sens commun, sans lequel la machine peut s’égarer dans des élucubrations inutiles qui lui font perdre du temps ; l’imagination, sans laquelle la machine ne peut jamais sortir du cadre restreint de son programme ; et enfin, la détermination, c’est-à-dire la faculté à persévérer et à se transcender en le faisant.
S’il désire augmenter ses performances, plutôt que de prendre exemple sur la machine et sa logique binaire, l’humain peut aussi se tourner vers la Nature et son écosystème. Quand un programme bugue, on dit qu’il est “cassé”. Si on ne le répare pas, on ne peut rien en tirer. Mais la nature ne connaît pas cette logique : elle entreprend sans cesse, elle est foisonnante, elle teste constamment de nouvelles possibilités, de nouvelles combinaisons.
Parfois, elle échoue, et c’est précisément le cycle de la vie : des espèces meurent et disparaissent (plantes, animaux ou insectes) tous les jours. La sélection et l’adaptation au milieu testent sans relâche la viabilité de mutations, parfois infimes. L’erreur est naturelle, au sens le plus fort du terme. Elle est inévitable. C’est ce qui la rend d’autant plus acceptable.
Cette capacité de la Nature à imaginer sans cesse de nouvelles frontières, notamment par une utilisation créative de l’erreur peut être vue comme un motif perpétuel d’inspiration.
L’erreur, ce trampoline pour la réussite
Pourquoi donc ne pas suivre cet exemple et cette source quand on est chef d’entreprise, DRH, manager ? C’est d’ailleurs ce que font les grands entrepreneurs, qui ne parlent jamais d’échecs, mais d’apprentissage ou d’opportunités de croissance. Ce qui suppose d’analyser l’erreur, de s’en servir de tremplin pour repartir plus loin. Au fond, si on pense trop étroit, trop petit, trop bas, on renonce trop vite, on ne s’ouvre pas à la possibilité de commettre des erreurs.
Il faut faire preuve de détermination pour échouer. Il faut faire preuve de volonté pour que cela devienne une qualité. Pour maîtriser le vélo, ne faut-il pas tomber 10 fois, 100 fois ? C’est d’ailleurs ce que répètent tous les parents du monde entier, pour rassurer leurs bambins : que dit-on à nos enfants qui apprennent à faire du vélo ? “si on ne tombe pas, on n’apprend pas !”
Le dicton de Robert Kiyosaki, entrepreneur américain spécialisé dans le développement personnel, est bien connu : “Sometimes you win, sometimes you learn”1. Ne pas échouer, mais apprendre, c’est une question d’attitude et d’état d’esprit. Et ce qu’on appelle ainsi le “growth mindset”, c’est-à-dire la faculté à rebondir après l’échec, à ne pas le voir comme une fatalité mais comme une chance à savoir saisir, se cultive en entreprise. Pour cela, il faut accepter l’idée qu’une erreur (ou même une victoire) ne définit pas une personne. Il faut aussi distinguer l’erreur de l’échec : là où le second évoque généralement un trajet dont il constitue l’étape finale, la première signe éventuellement le début d’une autre trajectoire dans une bifurcation qu’elle aura rendue possible.
Ce changement de vision suppose de mettre en place deux nouveaux piliers dans les relations de travail : l’écoute active et l’empathie. Autrement dit, quand quelqu’un échoue, inutile de le blâmer : le plus intéressant est de lui demander ce qu’il a appris. Il faut développer une ouverture d’esprit, pour voir si la personne essaye de justifier son erreur ou si elle essaye, au contraire, de la reconnaître et d’apprendre.
Cela rejoint un autre point important : oui, certaines personnes dévient des trajectoires toutes faites dans une organisation, et c’est tout sauf pénalisant pour l’entreprise. Car de l’uniformité ou de l’homogénéité ne naîtra jamais rien d’innovant. Il faut accepter de travailler avec des collaborateurs qui ont d’autres idées, des cultures différentes. Si on emprisonne les individus dans un modèle et qu’ils n’en sortent pas, ils reproduiront en permanence les mêmes mouvements. L’entreprise n’innovera pas.
Échouer, mais en beauté
Rester en mouvement est d’autant plus important qu’avec l’accélération croissante des évolutions technologiques, de nouveaux métiers naissent alors que d’autres disparaissent presque tous les ans. Il faut donc s’adapter au nouveau monde du travail, établir des ponts intergénérationnels pour que, dans une inversion caractéristique de notre époque, les seniors puissent apprendre des plus jeunes. L’apprentissage, l’expertise technique aussi bien que les expériences personnelles doivent être partagés entre les générations. À tout âge, le travailleur de demain, plus que jamais, devra tester de nouvelles choses, échouer et se relever.
Quitte, parfois, à échouer en beauté, comme Roger Federer lors du dernier match de sa carrière à la Laver Cup. Mais qu’importe l’erreur, pourvu qu’on ait la victoire, la seule qui compte : celle de savoir que notre parcours nous a fait grandir, nous et tous ceux qui nous ont vu échouer. S’ils ne baissent pas les bras, ils se relèveront peut-être plus forts.
Article initialement paru dans GPO magazine