Ils nous rendraient insomniaques, addicts, narcissiques, instables. Ils seraient responsables de notre incapacité à nous concentrer, de la mauvaise éducation de nos enfants et de notre égoïsme patent. Il est donc de bon ton de les conspuer, mais si tout ce temps passé à scroller, à se selfier, à squatter les réseaux sociaux… n’était pas si inutile ? Bien utilisés, bien dosés, les écrans pourraient-ils finalement avoir quelques vertus ?
Un exutoire
La journée de travail est terminée. Qu’elle ait été longue, pénible ou vivifiante, c’est l’heure du rituel. L’ordinateur fermé, vous saisissez votre portable. Sur ce nouvel écran, des dizaines de pastilles rouges vous appellent. Un message d’un proche, une actu, un appel manqué… Il suffit d’un clic pour que la spirale du scroll s’empare de vous et que s’enchaînent vidéos gaguesques, blagues malaisantes, déferlement de buzz et autres images retouchées. Dans cette guerre permanente de l’attention, relevant d’ailleurs d’une science appelée captologie, les minutes défilent sans que vous vous en rendiez compte et, au moment de lever le nez de votre écran, la sensation d’avoir perdu son temps prend le dessus. Mais ces minutes passées à scroller sont-elles vraiment sans intérêt ?
À rebours des discours qui affirment qu’il faudrait à tout prix rentabiliser son temps libre pour s’adonner à une activité utile, s’offrir une petite demi-heure de réseaux sociaux peut aider à relâcher la pression. À condition, bien sûr, que ce temps d’écran soit la source d’émotions positives. Plus précisément, que ce que vous regardiez procure un sincère plaisir. C’est même validé par les neurosciences : votre cerveau produira autant d’hormones du bonheur devant la vidéo de chatons que dans la vraie vie ! Dès lors, pourquoi se priver de cet espace de décompression ? Finalement, c’est presque un réflexe “pascalien”, pour qui “rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application” (« Sans application » ? Pascal aurait-il anticipé la vertu sédative des applications ?). N’en profitez pas pour autant pour remplacer l’activité physique, les shoots de chlorophylle et la nature par un océan de vidéos débiles. Cependant, en gardant le contrôle, l’usage de la superficialité des écrans peut constituer un excellent remède à la mélancolie.
D’ailleurs, selon Erwann Tison, directeur des études de l’Institut Sapiens, les écrans constituent peut-être l’une des solutions à la “prise en charge moderne de la santé mentale”. Les méthodes de gamification, mais aussi les applications d’e-santé permettraient, selon le macro-économiste, “d’améliorer la détection, le suivi et le traitement des pathologies tout en favorisant un meilleur entretien du bien-être mental des usagers”.
Vive la superficialité ?
Si l’on s’en réfère cette fois aux scientifiques, la multiplicité des sollicitations numériques (répondre à un appel en rédigeant un e-mail, regarder un film en envoyant des SMS, jouer aux jeux vidéo tout en discutant avec un ami) perturbe notre capacité à nous concentrer. À y regarder de plus près, ne serions-nous pas au contraire désormais capables d’en faire plus, au même moment ?
À l’image des slasheurs, jonglant entre plusieurs métiers en même temps, l’augmentation des sollicitations et la rapidité d’exécution de certaines tâches nous invitent à embrasser notre multipotentialité. Il n’y a plus à faire de choix ou à renoncer : chacun peut passer d’un impératif à l’autre ou jongler entre plusieurs interlocuteurs. En nous poussant à nous adapter, les écrans développent notre agilité et orientent nos pensées d’une nouvelle manière.
Alors qu’il est de bon ton de louer la profondeur, associée au sérieux et à l’utile, peut-être est-il temps de valoriser les qualités trop souvent minorées de la superficialité. La largeur des champs de compétence remplace le relief et la profondeur de nos pensées. La consommation d’écrans initie peut-être une nouvelle ère où l’intelligence se déterminerait selon le nombre d’interfaces maîtrisées.
En dehors des écrans, point de salut ?
Il suffit de voir les progrès touchants de nos aînés face à un ordinateur, une tablette ou un smartphone pour se rendre compte que la maîtrise des écrans est aujourd’hui impérative. Même si la désorientation de nombre d’entre eux face aux usages quotidiens apportés par le numérique (démarches administratives en ligne, maintien du contact, etc.) est indéniable. Passés du statut d’outils à celui de compagnons, les écrans sont devenus des passages obligés présentant pour cette raison un fort risque : celui de creuser des inégalités, liées notamment à l’illectronisme.
Ils nous préparent également au monde de demain. À tel point que l’on parle désormais de quotient digital pour désigner la capacité d’acquérir et d’appliquer de nouvelles connaissances et compétences liées aux technologies numériques. Le think tank international DQ Institute va même plus loin en le définissant ainsi : “la somme des capacités sociales, émotionnelles et cognitives permettant aux individus de relever les défis et de s’adapter aux exigences de la vie numérique.”
Dans une société où l’Intelligence Artificielle va prendre encore plus d’ampleur et où les innovations technologiques viendront (pour le pire ou le meilleur) certainement bouleverser nos usages (métavers, Web 3, NFT…), les écrans servent de porte d’entrée à ce nouveau monde technologique. Le risque serait alors que, dans une inversion totale, le “vrai monde” ne devienne accessible que via un écran.
Si les écrans de console ou de téléphone peuvent nous hypnotiser, les multiples sollicitations qu’ils suscitent nous révèlent aussi à nous-mêmes. Particulièrement polysémique, l’écran n’est pas seulement une frontière, un paravent, une séparation, mais un révélateur, une réverbération, un reflet. Résoudre l’énigme d’un jeu sur une application requiert de l’ingéniosité, tout comme l’apprentissage en apparence anodine d’une danse sur TikTok. L’exercice requiert en effet coordination, mémoire et capacité à se mobiliser pleinement à un moment précis.
C’est encore plus le cas pour les jeux vidéo. Une étude américaine publiée en octobre 2022 dans la revue Pediatrics, estime qu’ils rendraient les enfants plus intelligents. La raison ? Ils entraînent notre cerveau ! D’abord, en stimulant les capacités visuo-spatiales permettant de se repérer dans l’espace sans avoir recours à un plan, mais aussi en favorisant l’apprentissage et la concentration. Des facultés particulièrement utiles dans notre vie quotidienne, avec ou sans écrans.
Un dopant en vente libre
Si les écrans de console ou de téléphone peuvent nous hypnotiser, les multiples sollicitations qu’ils suscitent nous révèlent aussi à nous-mêmes. Particulièrement polysémique, l’écran n’est pas seulement une frontière, un paravent, une séparation, mais un révélateur, une réverbération, un reflet. Résoudre l’énigme d’un jeu sur une application requiert de l’ingéniosité, tout comme l’apprentissage en apparence anodine d’une danse sur TikTok. L’exercice requiert en effet coordination, mémoire et capacité à se mobiliser pleinement à un moment précis.
C’est encore plus le cas pour les jeux vidéo. Une étude américaine publiée en octobre 2022 dans la revue Pediatrics, estime qu’ils rendraient les enfants plus intelligents. La raison ? Ils entraînent notre cerveau ! D’abord, en stimulant les capacités visuo-spatiales permettant de se repérer dans l’espace sans avoir recours à un plan, mais aussi en favorisant l’apprentissage et la concentration. Des facultés particulièrement utiles dans notre vie quotidienne, avec ou sans écrans.
Au paradis des contenus
La pandémie et les confinements successifs l’ont encore amplifié : les écrans, tels des accès vers l’ailleurs, nous ouvrent des possibilités à l’infini. Ils peuvent donc nous permettre de repousser les frontières de notre imaginaire.
Bien utilisés, ils nous aident également à mieux appréhender le réel. Grâce à un célèbre moteur de recherche, nous pouvons tout apprendre, avec les milliers de contenus accessibles en ligne, des tutoriels de bricolage aux cours magistraux des plus grandes universités. Les concerts du bout du monde trouvent aussi leur place dans nos salons, les voix des plus grands penseurs peuvent parvenir jusqu’à nous…
L’écran a ceci de fascinant qu’il n’est qu’une surface neutre tant qu’il n’est pas animé par la projection. Comme tout contenant, il n’est rien sans contenu. Il est ainsi l’outil de création par excellence, celui sur lequel peuvent se refléter nos imaginaires, nos plus grands rêves, et nos fantasmes.
La génération née après l’an 2000 est la première à avoir un quotient intellectuel moins élevé que la précédente. Les écrans font souvent figure de coupable idéal. Pourtant, on l’a vu, ils ne font pas forcément de nous des êtres décérébrés. Sont-ils pour autant capables de nous rendre plus intelligents ? Peut-être faut-il seulement accepter que les écrans ne sont que le reflet de nous-mêmes… A nous d’en faire l’usage qui nous ressemble. Pour certains, la posologie sera écran total, pour d’autres, ce sera indice 20.
Article initialement publié dans Psychologies.