Si les NFT font la une de l’actualité technologique de ces dernières semaines, que signifie concrètement cet énième acronyme ?
NFT est un jeton non fongible (de l’anglais non-fungible token). Avouons-le, énoncé ainsi, ce n’est guère plus compréhensible. En version décodée, ces jetons basés sur la Blockchain servent à authentifier n’importe quel objet comme unique et infalsifiable. Entendu, mais quelles sont les passerelles envisageables avec le marketing et quel intérêt aurait-il à annexer les NFT ?
Au commencement était le chaton, et le marketing dans tout ça ?
Le premier usage a été pour un jeu baptisé CryptoKitties. Grâce aux NFT, les joueurs pouvaient échanger et vendre des chatons virtuels. Le plus cher s’est vendu 170.000 dollars.
Naturellement, les NFT ont poursuivi leur irrésistible ascension et, au même titre que des drogues psychédéliques, dopé l’imagination : premier tweet signé Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, CriptoKicks de Nike, œuvre de Babskyn, panier de son joueur ou équipe favorite de la franchise NBA, arrivée récente sur EBay… Rassurez-vous, la junk-food n’est pas en reste : tacos virtuels de Taco Bell, portions pixellisées de Pizza Hut, produits phares de McDonald’s numérisés…
Certaines sommes investies donnent également le vertige. Une œuvre numérique de Beeple, artiste quasi inconnu, s’est notamment vendue 69 millions de dollars. Ce montant démesuré montre bien la puissance des idées, des concepts. Ce n’est plus une œuvre en tant que telle que nous achetons, mais une idée. Trouver des idées, des concepts, n’est-ce pas le domaine de prédilection du marketing ?
Telle une bête vorace, le marketing a pour habitude d’annexer tous les territoires, de chercher à conquérir en permanence de nouveaux territoires d’expression, des parts de marché… Au même titre que le scorpion, incapable de se retenir de piquer, le marketing ne peut pas s’empêcher d’annexer tous les territoires susceptibles de devenir des supports de communication. Une fois ce territoire constitué, il en dessine les contours, il en organise la logique, il le fait évoluer, aussi bien dans un objectif offensif que défensif. Doit-il se pencher sur le territoire encore en friche des NFT ? Si tel est le cas, peut-être convient-il de l’éduquer pour éviter des dérives.
Des conséquences des NFT qui ne sont pas sans évoquer les 4E du marketing
Avec le digital, la fabrication en série, la copie, ont cours puisque le numérique uniformise en répliquant les mêmes processus, les mêmes comportements…
Le digital a donc fait disparaître une des représentations classiques de la hiérarchie du monde : un original et des copies. Comme il n’y a plus d’original, surgit une obligation : créer de l’originalité. Les NFT seraient-ils la solution ultime à ce problème ? Paradoxalement, alors qu’ils sont basés sur le numérique, ils réintroduisent de l’unicité en redonnant un caractère singulier à des objets qui peuvent être produits en série. En somme, les NFT insufflent de l’unique, donc de l’analogique, dans un monde de plus en plus en plus numérique. Les NFT seraient donc un des symptômes de cette volonté de réinstaurer une hiérarchie. C’est un peu comme une révolution qui prendrait la décision de réintroduire de la noblesse.
Parce que le consommateur du 21ème siècle souhaite être “unique”, que la consommation individuelle est de plus en plus de mise, les marques doivent rivaliser d’originalité, tenir un discours donnant au client l’impression qu’elles s’adressent directement et uniquement à lui. Cela passe notamment par une hyper personnalisation des produits. Grâce au numérique, le client peut d’ores et déjà, en fonction de ses besoins, de ses envies, de son budget, personnaliser à l’envi : couleur, forme, taille, motifs, ingrédients, pièces… Il obtient donc une sorte de plénitude, une sensation d’originalité, d’unicité. Ce désir d’unicité n’est pas sans rappeler les 4E du marketing : émotion, expérience, exclusivité, engagement.
Demain, grâce aux NFT et moyennant finance, il sera possible de repousser les frontières de l’expérience client en donnant à ce dernier la certitude d’être le seul membre à détenir tel ou tel produit. Ainsi, la marque aura parfaitement honoré sa promesse : délivrer un produit qui correspond en tous points aux nouvelles attentes des clients.
Minage ou mirage ?
Parce que les entreprises disposent d’un patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, le marketeur sensible au chant des sirènes des NFT pourra se lancer dans un inventaire des éléments potentiellement éligibles à la case minage. Au-delà de ce patrimoine, le marketeur pourra explorer d’autres pistes, d’autres territoires qu’il pourra annexer pour communiquer. Attention cependant aux dérives.
Les NFT effectuent en effet différentes percées dans le monde physique. On pense notamment à Oleksandra Oliynykova, joueuse de tennis professionnelle, qui a mis aux enchères une partie de son corps. Le possesseur du NFT pourra apposer le message de son choix sur le bras de la joueuse, plus précisément sur une zone de 15 centimètres par 8 située au-dessus de son coude. Tentant pour un marketing toujours plus vorace, mais un tantinet risqué en matière d’éthique et de dérives potentielles.
Les marques engagées sur le volet RSE devront également tenir compte de l’impact environnemental des NFT. Ces derniers, à l’image du Bitcoin, utilisent majoritairement le réseau Ethereum, une blockchain qualifiée de “première génération”. Elle est donc particulièrement énergivore. A titre de comparaison, à cause des grandes capacités de calcul qui doivent être déployées pour miner, leur consommation électrique équivaut chaque année à celle d’un pays comme l’Argentine ou la Nouvelle-Zélande. Sans doute de quoi susciter le courroux de Greta Thunberg ou d’une fidèle…
À l’image d’un SWOT exécuté dans les règles de l’Art, les NFT présentent donc pour les marketeurs des opportunités comme des menaces. Cependant, bien que personne ne puisse prédire avec certitude leur avenir, que personne ne puisse affirmer que cette technologie va s’inscrire de manière pérenne dans le paysage de la communication, il est important de s’y intéresser. Après tout, si la curiosité est paraît-il un vilain défaut, n’est-ce pas un passage obligé pour un marketing qui doit sans cesse se renouveler ?
Tribune initialement parue sur CB News