L’empreinte carbone de l’informatique a jusqu’ici été sous-évaluée, il est plus que temps pour les Directions des Services d’Information (DSI) de se saisir des questions de RSE, explique Marc Lestienne, Deputy Chief Information Officer de Prodware.
L’informatique mondiale génère entre 2,1% et 3,9% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon une étude récemment publiée par les chercheurs de l’Université de Lancaster, soit bien davantage que ce qui était évalué jusqu’à présent. Qui plus est, ces émissions ont tendance à augmenter significativement chaque année, à mesure que la digitalisation de nos vies et de nos économies progresse. Et encore, il ne s’agit là que d’une partie des externalités causées par l’informatique : extraction de minerais et terres rares, déchets non recyclables, pollutions diverses… La question du coût environnemental de l’IT mérite donc d’être posée.
Malheureusement, ces dernières années, les DSI ont surtout été accaparés par les sujets de cybersécurité et de mise en place d’infrastructures tournées vers le Cloud. Le sujet du “green IT” est trop souvent resté secondaire. Il est désormais temps de repousser les frontières des compétences des DSI et de s’y attaquer, en l’intégrant aux politiques d’achat et aux relations avec les fournisseurs, car même si le développement des services cloud et SaaS a largement fait basculer la responsabilité du sujet dans les mains des prestataires, les acheteurs IT peuvent néanmoins agir.
Questionner les usages du cloud
Une première étape est de privilégier des fournisseurs qui ont amorcé une réflexion sur l’empreinte carbone de leurs opérations. Mais cela ne sera pas suffisant : même si les grands acteurs du cloud public et du SaaS affichent leur volonté de “verdir” leurs offres, avec notamment des ambitions en matière de décarbonation des data-centers, le développement exponentiel du cloud a et aura un coût énergétique démesuré. Qu’elle soit “verte” ou non, l’énergie qui alimente les serveurs de stockage et les infrastructures cloud est malgré tout une énergie produite et consommée.
Les DSI doivent donc agir auprès de leurs utilisateurs pour les sensibiliser aux bases de “l’hygiène numérique”, tels que le nettoyage régulier des boîtes mails et la suppression des dossiers inutiles stockés dans le cloud. Hélas, aujourd’hui, les offres de cloud public privilégient encore le “toujours plus”, en intégrant par défaut des capacités de stockage démesurées par rapport aux besoins réels. Quel utilisateur a besoin de conserver un téraoctet de données ?
Pour l’entreprise, ce coût de stockage est quasiment invisible, car intégré dans le prix de base. Mais ce n’est pas le cas pour la planète. “Dématérialisé” ne signifie pas qu’on utilise moins de matière ou d’infrastructures, au contraire ! Mais nous manquons encore d’outils pour estimer – à l’échelle de l’entreprise, mais aussi à l’échelle individuelle – le vrai coût environnemental de nos actions numériques, faute de transparence de la part des prestataires. L’immatérialité des données n’aide pas à évangéliser et à sensibiliser.
Repenser les achats de terminaux et matériels informatiques
L’autre champ d’action des DSI et des départements Achats a trait au matériel. Les DSI ont en effet toute capacité de mettre en place une politique de BYOD (“Bring Your Own Device”) et d’achats de terminaux et matériels éco-conçus, recyclables, réparables et/ou reconditionnés. L’indice de réparabilité, par exemple, est un nouveau critère à prendre en compte dans les appels d’offres. Mais là encore, les fournisseurs sont encore peu nombreux à jouer le jeu.
Pour le matériel, le coût carbone doit être envisagé non seulement dans les usages, mais aussi et surtout dans la fabrication, qui représente l’essentiel de cette empreinte. Allonger la durée de vie des terminaux est un bon levier. Néanmoins, il se heurte encore à des freins culturels : en entreprise, le matériel reconditionné souffre toujours d’un déficit d’image.
En effet, pour une question de statut, les collaborateurs préfèrent recevoir un ordinateur flambant neuf plutôt qu’un appareil reconditionné. C’est tout le paradoxe : dans sa sphère privée, un collaborateur peut très bien veiller à limiter au maximum son empreinte carbone, mais il s’attendra à recevoir de son entreprise un PC ou un smartphone dernier cri…
Faire évoluer les perceptions et les pratiques
Heureusement, les perceptions peuvent être changées et évoluer. Désormais, la notion de performance ne doit plus seulement être abordée sous l’angle devenu réducteur de la seule technologie, elle doit aussi intégrer la dimension environnementale. Sur ce sujet aussi, les DSI ont tout à gagner à dépasser les frontières de leur territoire en travaillant plus étroitement avec les directions RSE et communication interne pour évangéliser les collaborateurs.
De toute façon, l’allongement de la durée de vie des terminaux est déjà en cours, sous la contrainte : la pénurie de semi-conducteurs limite actuellement les possibilités de renouvellement de matériel. Autant profiter de la situation actuelle pour changer les pratiques IT, pour de bon !
De façon générale, la question écologique se présente aujourd’hui comme un horizon indépassable qui concerne l’ensemble des activités humaines. Avec un coût environnemental qui ne cesse d’augmenter, l’IT n’échappe pas à la règle commune. En parvenant à faire entrer l’utilisation intelligente des ressources informatiques et la bonne maîtrise de leurs usages dans le champ de la performance économique (faire plus avec moins en faisant autrement), les DSI feraient preuve d’innovation et deviendraient de facto l’un des postes avancés de la réponse aux multiples questions que nous pose la crise écologique.
Article initialement publié sur ITsocial.